Lorsqu’il fut élu le 24 février 2008 avec 53,37 % des voix, il y a un peu plus de cent jours, la première chose qui m’est venue à l’esprit, par plaisanterie, c’était « Comment faire pour convaincre des entrepreneurs français d’investir dans un pays communiste ? »
En réalité, Chypre aurait grand tort de revenir sur ce qui fait son attractivité : son faible taux d’impôt sur le revenu, le plus bas de l’Union européenne (10%) et les quelques quarante traités de non double imposition. Les politistes estiment que Demetris Christofias, ancien Président de l’AKEL et du Parlement chypriote, a été élu, avec le soutien du DIKO, le parti centriste, parce qu’il s’était engagé à réouvrir les pourparlers avec les autorités chypriotes turques. Ce qu’il a fait.
Revenons sur ce personnage (ici pris en photo lors de la 17ème assemblée du Cypriot Shipping Council à laquelle j’ai assisté dans le cadre de mon stage).
Demetris Christofias est né à Dhikomo, village du district de Kyrenia, actuellement occupé par l’armée turque. Membre actif des jeunesses communistes depuis 1964, il part à Moscou faire des études de sciences sociales de 1969 à 1974 grâce à une bourse du gouvernement soviétique. Il y rencontre sa compatriote Elsi Chiratou qu’il épouse en 1972. Il obtient en 1974 un doctorat en sciences de l’histoire de l’Académie des Sciences sociales de l’URSS et retourne à Chypre. Il devient membre de l’Organisation Panchypriote des Etudiants Unis, puis adhère au parti communiste AKEL et à la Confédération Panchypriote du Travail. En 1988, il devient secrétaire général du comité central du parti, fonction qu’il occupe toujours à ce jour après quatre réélections successives. M. Christofias obtient son premier mandat électif en 1991 en tant que député de l’AKEL pour le district de Nicosie-Kyrenia. Il est réélu à trois reprises depuis. Après le succès électoral de l’AKEL aux élections de 2001, il est élu Président du Parlement, poste qu’il occupe jusqu’à son élection à la Présidence de la République.
Les cent premiers jours d’un gouvernement sont très symboliques, notamment en France où cela réfère à une période particulière de notre histoire. A Chypre, il n’en a pas été fait mention dans les médias, mais cela ne signifie pas pour autant que pendant cette période, il ne se soit rien passé. Au contraire !
Et l’évolution la plus notable, qui a eu aussi le résultat le plus immédiat et le plus positif, c’est la reprise des négociations avec les autorités chypriotes turques. Demetris Christofias et Mehmet Ali Talat se sont ainsi accordés pour l’ouverture d’un nouveau point de passage à l’un des endroits les plus symboliques de cette partition : la rue Ledra. Cette ouverture a été décidée en à peine deux semaines, en dépit des réticences des militaires, et fixée au 3 avril 2008 (jour de mon arrivée à Nicosie), ce qui fut effectivement le cas.
Actuellement, ce sont 6 groupes de travail et 7 comités techniques avec des experts de chaque communauté qui poursuivent ces négociations qui précèdent un futur entretien des deux leaders en vue d’une résolution du problème chypriote. Malheureusement, si du côté grec on dénonce la lenteur du processus qui pourrait reporter le rendez-vous, du côté turc on fait valoir la volonté d’un virgin birth, où évocation d’un nouvel Etat absolument inacceptable pour les hellénophones.
Toujours en matière de relations internationales, l’arrivée au pouvoir de Demetris Christofias s’est également traduite par un dialogue plus chaleureux avec le Royaume-Uni. Qu’il est loin le temps où, alors Président du Parlement Chypriote, il avait qualifié l’ancienne puissance coloniale de « evil demon ». Christofias et son homolgue Gordon Brown ont signé un mémorandum de coopération politique, dans lequel le Premier Ministre affiche son soutien aux pourparlers entamés par Nicosie. Ce qui a fortement déplu à la partie turque, laquelle estime que l’on trahit la base des négociations. On se demande bien en quelle mesure, mais en matière de relations internationales, ce qui compte, c’est moins les faits que la manière dont ils sont perçus par les parties tiers ou concernées.
Le Président Christofias et son gouvernement doivent également s’atteler à d’autres problèmes qui se posent de façon de plus en plus aiguë pour l’ensemble des pays développés.
L’inflation. Elle s’est élevée à 4,94 % en mai, chiffre le plus haut depuis mai 2003, et n’est pas passée sous le seuil des 4% depuis plusieurs mois. Sont en cause les éléments extérieurs : hausse du coût des matières premières notamment, mais aussi des éléments domestiques. Sont ainsi montrés du doigt l’absence d’une autorité de protection de la concurrence et l’existence du CoLA, ou Cost of Living Allowance, mécanisme automatique de revalorisation des salaires des fonctionnaires et personnes syndiquées (80% des travailleurs) et qui alimente la boucle prix-salaires que la France avait connu sous l’ère giscardienne.
L’eau. Problème récurrent à Chypre. Comment souvent, alors que le devoir des gouvernements est de prévoir, cela n’a pas été le cas. Il n’y a quasiment pas eu de précipitations à Chypre depuis des mois. Les comportements des citoyens (arrosage des trottoirs, des monuments, des espaces verts et des champs en plein soleil…) et le manque d’infrastructures provoquent de multiples coupures d’eau qui exaspèrent les Chypriotes. Chypre a passé commande de près de 80 millions de mètres cubes d’eau à la Grèce, pour un montant de 40 millions d’euros. Deux usines de désalinisation sont en cours de construction. On a envie de dire « à la bonne heure ».
L’énergie. 95% de l’électricité de Chypre est produite à partir de produits pétroliers. Afin de respecter ses engagements européens en matière de production de CO2 et de réduire sa facture énergétique, le pays souhaiter basculer vers le gaz… mais ne s’est toujours pas décidé sur l’emplacement d’un central gazier, ni sur le pays fournisseur. Ajoutez l’évocation d’une centrale nucléaire à Chypre par le Monsieur énergie du ministère concerné, idée qui a fait hurler les écologistes et une bonne partie de la classe politique, et la menace d’une amende record si Chypre ne se lance pas dans les énergies renouvelables (4% de sa production actuellement) et vous avez tous les ingrédients d’un feuilleton de l’été.
Au final, la côte de popularité de Demetris Christofias est au plus haut : 78 % d’opinions favorables ! Lui aussi s’est entouré de ministres socialistes ou du centre pour rassurer la population et les partis le soutiennent même dans ses négociations avec la partie turque. Mais le plus diffcile, c’est de durer ! Au niveau de la vie privée, je me dispenserai de commentaires ironiques trop faciles ou de comparaisons simplistes avec la France. Il n’y a rien a priori qui puisse satisfaire la presse people.